Visez-vous des rendements supérieurs à ceux du marché ?
Jacques Delen : Là n'est pas notre objectif principal. Lorsqu'on cherche à répliquer l'évolution du marché, on échoue neuf fois sur 10. Avec quelque 200 actions et 500 obligations, nos investissements sont très diversifiés. Il nous arrive de surpondérer ou de sous-pondérer des secteurs ou des régions, mais nous n'en excluons jamais aucun. Parier sur certaines parties seulement du marché d'actions revient à prendre des risques inutiles. Si, il y a cinq ans, vous avez jugé les actions de croissance trop onéreuses et que vous n'en avez pas acheté, vous avez ici également renoncé à énormément de rendement.
Rester investi, c'est éviter les accidents sur le long terme.
Cela fait des années que les Bourses américaines se portent mieux que leurs petites sœurs européennes. Cette situation peut-elle évoluer ?
Jacques Delen : Nous sommes investis à 50% aux Etats-Unis, à 35% en Europe et à 15% dans le reste du monde. Cette surpondération sur les Etats-Unis s'explique par la croissance du pays, beaucoup plus marquée que partout ailleurs ces dernières années, surtout grâce au dynamisme du secteur technologique. La croissance économique et le marché de l'emploi américains se portant extrêmement bien, je m'attends à ce que les Bourses américaines restent en tête. Les actions européennes sont tellement à la traîne qu'un rattrapage est aujourd'hui possible. Nous nous montrons en revanche plus circonspects à l'égard de la Chine et des marchés émergents. Nous préférons les multinationales européennes et américaines qui réalisent une partie de leur chiffre d'affaires là-bas : nous profitons de la sorte de la croissance de ces régions, tout en nous reposant sur la culture managériale occidentale.
La Banque Delen progresse depuis des décennies déjà, sans attirer beaucoup l'attention des médias et sans dépenser énormément en marketing. Quel est votre secret ?
Jacques Delen : Nous n'évitons pas les médias mais nous ne les recherchons pas non plus. Les clients n'ont pas besoin que nous expliquions dans la presse comment nous gérons nos portefeuilles. Ce qu'ils veulent, ce sont des relations personnelles, une activité pour laquelle nous nous imposons des règles strictes. Un contact proactif a beaucoup plus de valeur que des relations ponctuelles, dictées par la nécessité de réagir à une évolution du marché. Il faut évidemment appeler le client quand les choses vont mal, mais pas seulement.
Comment décririez-vous Delen Private Bank, en sa qualité de gestionnaire de patrimoine ?
Jacques Delen : Comme un bon père de famille. Nous veillons à répartir nos investissements au mieux, pour éviter autant que possible les risques individuels. Tous les clients affichant un même profil de risque bénéficient d'une gestion de portefeuille identique. La gestion est exclusivement discrétionnaire, nous ne proposons pas de gestion consultative personnalisée. Cette culture du bon père de famille, nous l'appliquons en interne également : nous n'attribuons pas de bonus et nous ne starifions pas nos gestionnaires. Nous affichons de surcroît un bilan solide et nos portefeuilles ne contiennent aucun produit spéculatif. Enfin, nous respectons strictement la législation fiscale. Tout cela se reflète dans notre fichier de clientèle - un bon père de famille attire une clientèle qui lui ressemble.
Le secteur financier croule sous les réglementations depuis quelques années. Cela a-t-il ralenti votre croissance ?
Jacques Delen : Non, au contraire : cela nous a obligés à faire aussi simple que possible. En outre, ces directives ont leur raison d'être. La société, les services et les produits sont toujours plus complexes, il faut donc les réguler. Relever ce défi nous a rendus beaucoup plus efficaces.
Quelles ont été les grandes étapes de votre carrière ?
Jacques Delen : Elles ont procédé de décisions dont l'importance stratégique n'est apparue que par la suite. J'ai toujours voulu rendre la gestion de l'entreprise plus efficiente. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé en 1983 de ne plus livrer de titres aux clients : c'était trop compliqué. Nous n'avons donc plus assuré que l'administration des portefeuilles. En 1989, nous nous sommes lancés dans la gestion des portefeuilles : au lieu de nous charger de l'administration des titres avec lesquels les clients venaient nous trouver, nous avons pris en charge la gestion même de leurs investissements. Nous y avons sérieusement gagné en efficacité et en simplicité. En 1997, nous avons abandonné la gestion consultative sur mesure au profit d'une stratégie discrétionnaire ; laquelle est, depuis 2002, centralisée au sein de la banque, et non plus répartie entre les gestionnaires.
Cette quête d'efficacité et de simplicité est-elle la clé de votre prospérité ?
Jacques Delen : Elle explique en tout cas pourquoi notre rapport coûts/revenus compte parmi les plus avantageux du secteur. Imaginez un restaurant qui offrirait un menu de 20 pages : ce serait probablement le chaos en cuisine et les serveurs perdraient énormément de temps à tout expliquer aux clients, pour un résultat qui ne serait sans doute pas à la hauteur. Je préfère les établissements qui offrent une carte réduite.